Psycho-sceptique #1 : La science, le consentement et le reste

J’ai beaucoup hésité sur le thème qui illustrerait mon premier article. Réfléchis, écris des brouillons, mis des thèmes de côté … Je ne trouvais pas LE sujet avec suffisamment de matière et assez percutant. Mais cela a récemment changé.

Ce 19 novembre dernier, se déroulait la journée d’étude « commande, demande, consentement, questions déontologiques » organisée par la CNCDP (la Commission Nationale Consultative de Déontologie des Psychologues). Cet événement, très intéressant et très riche dans son contenu et de ses intervenants, me laissa malheureusement un petit goût amer. Ce petit goût amer, alors même que les réunions étaient percutantes, bien amenées, poussaient à notre réflexion et tentaient de nous donner des clés de compréhension assez générales sur l’éthique des psychologues. Voire même, vers des problématiques futures liées aux bouleversements ou aux changements éventuels de la société.

Durant la conférence « Le consentement : droit nouveau du patient ou imposture », le professionnel fit des erreurs à la fois sur la science, la psychologie et le traitement des patients. Choqué par certaines de ses remarques, voire par la logique de son argumentaire, j’ai donc décidé d’écrire cet article.

Un petit point avant de commencer … Je n’ai strictement rien contre l’intervenant en question. Cependant, il me semblait important de corriger et de montrer les erreurs de son discours. Et ce, pour une raison simple : un-e praticien-ne doit non seulement faire attention à son vocabulaire, mais aussi et surtout aux idées et à la véracité de ses propos.

 

La psychologie ne serait pas une science ?

Tout d’abord, l’intervenant détache véritablement la science de la psychologie, ce qui est déjà assez choquant pour que je décide d’y répondre.

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L’art ou la manière de troller un psy

La psychologie est un domaine de connaissances souvent teinté de mystères, de croyances, de généralités ou encore d’une démarche que l’on considère comme totalement subjective. Et très souvent, elle est comprise comme étant détachée de toute démarche scientifique. Ces stéréotypes particulièrement ennuyeux ont pour principal problème d’être véhiculés à la fois par des non professionnel-les de la psychologie, mais aussi par des spécialistes elleux-mêmes.

Un prochain article aura pour but de défendre cet aspect mais : oui, la psychologie est une science. Et ce, car elle repose principalement sur la démarche hypothético-déductive, ce qui est un point inhérent à toutes recherches. Elle repose aussi sur la vérification et la mise en situation d’hypothèse(s) via des expériences vérifiables et réfutables (même s’il y a des progrès à faire sur la réplicabilité, c’est certain). Afin de creuser davantage le sujet, je vous invite à lire cet article en français, ou regarder cette vidéo en anglais.

Bien évidemment, tout n’est pas objectivable en psychologie, surtout lorsque l’on est thérapeute. Mais de là à dire que ce n’est pas une science … C’est un poil abusé quand même.

 

La science, un danger ?

Autre point durant son intervention : sa définition de la science est très péjorative.

En effet, durant son allocution, il explique que le consentement n’est qu’une idée récente de la science, en donnant l’exemple des expériences nazies. Il amène alors le fait que l’on ne cherchait pas à avoir l’avis des personnes avant de s’en servir comme cobayes.

Bien que véridique d’un point de vue historique, son argumentaire ne tient par la route et ce, pour trois différentes raisons :

  • Pointer les erreurs du passé, sans montrer les potentielles avancées (légales, éthiques, scientifiques, intellectuelles, etc.) ressemble beaucoup à un sophisme connu : le procès d’intention. Dans ce cas, il s’agit de chercher à discréditer quelque chose en ne pointant du doigt que ses erreurs et dangers. La science, la société et le contexte ont depuis changé, il est donc d’autant plus problématique de ne parler que de cet aspect.
  • Cela ne montre pas en quoi l’éthique est importante aujourd’hui (ce qui est triste, vu que le thème de cette journée d’étude est justement les questions d’éthique et de déontologie …)
  • Et, cela a pour conséquence de détacher de nouveau, la psychologie de la science en jouant sur notre corde sensible.
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Ou comment toujours revenir au pire, sans donner d’argument

 

Consentement, impossible ?

En s’appuyant sur sa définition négative de la science, le professionnel nous explique que le consentement en psychologie ne peut véritablement se faire, car cela serait une « soumission sociale proprement consentie ». Entre autres choses, il nous donne en exemple des résultats à des expériences de psychologie sociale tout en restant flou sur les finalités directes en thérapie.

Bien que je comprenne dans le fond son message, je trouve cet argument difficilement valable, voire dangereux. Effectivement, il est difficile d’identifier si une personne est d’accord (ou non) avec nous par principe, par autorité ou par tout autre facteur. Le-a patient-e peut penser qu’iel n’a pas le choix, éprouver des difficultés à exprimer son désaccord ou son incompréhension à voix haute, etc.

CEPENDANT, c’est à nous, psychologues (et aussi médecins, infirmier-es, pharmacien-nes, etc.) d’installer et de travailler dans un climat de confiance dès le début de notre intervention. En cela, le consentement de la personne est crucial ! Ce n’est pas sans aucunes raisons qu’il est noté dans le code de déontologie des psychologues à de nombreuses reprises, et dans le code de déontologie médicale (cf. article 36).
Et, si nous avons le moindre doute, il est toujours possible de retravailler à l’accord du patient-e, voire même de le-a guider vers un-e collègue (là encore, notre code de déontologie nous le rappelle).

Nier ce fait ou ne pas vouloir le prendre en compte peut être dangereux pour plusieurs raisons.

  • Déjà pour le-a patient-e, cela pourrait l’empêcher de se sentir en confiance ou concerné-e par les soins proposés, voire le gêner à trouver sa place dans le dispositif.
    Lorsqu’une personne vient voir un-e psy (quel-le qu’il soit), iel peut attendre des réponses précises sur ses difficultés, avoir des a priori sur le travail du professionnel-le, voire attendre un « miracle ». Ne pas avoir fait le point avec elle-lui sur tous ses potentiels freins à lever, via une explication des possibilités proposées ainsi que s’être assuré-e de son consentement, peut donc non seulement ralentir la démarche d’accompagnement ou de soin, mais aussi mener à une dépendance face à son-a thérapeute au fur et à mesure du temps. Cela peut s’avérer particulièrement néfaste car la place du professionnel-le pourrait être de plus en plus importante et donc, ralentir ou empêcher l’autonomie de la personne. Cela peut aussi, à l’inverse, créer de la distance avec le-a thérapeute, et donc bloquer l’avancement de la thérapie ou créer des tensions.
  • Et pour le-a psy, ne pas faire ce point avec le-a patient-e peut créer une certaine routine dans laquelle la personne a moins d’importance. Voir ses avancées, trouver des pistes de réflexions ou avoir des retours sur sa pratique, approfondir et améliorer son travail, etc. Tous ses points peuvent être ralentis et cela peut amener, à l’extrême pour le-a professionnel-le, à un fonctionnement automatique et créer de la lassitude dans son propre travail. Comment s’assurer que la personne va mieux ? Que la forme de la thérapie est adaptée ? Que son travail est fait dans de bonnes conditions ? Que la thérapie n’est pas trop longue ? Que ses outils ont été utiles ? Etc. Toutes ses questions sont importantes et cela explique pourquoi il est crucial de s’assurer du consentement et de la compréhension de la démarche de soin par le-a patient-e.

 

les protocoles, synonymes de dangers ?

En parlant une nouvelle fois du consentement, cet intervenant nous déclare que les protocoles « conformisent, quelque part, la personne » et que c’est « un prolongement de la machine ». A moins d’une interprétation faussée, il amène le fait que les protocoles seraient néfastes car, ils seraient utilisés par les professionnel-les sans réflexion, et empêcheraient au patient-e de trouver sa place dans le processus de soin. C’est un point de vue faussé, car il confond plusieurs éléments. De même, en faisant ce genre de démonstration, un autre élément de son argumentaire apparaît. En discréditant les outils créés par la démarche scientifique, cela donnerait du crédit à sa propre réflexion, à savoir : séparer la psychologie de la science.

Pour comprendre la psychologie, deux points sont essentiels :

  • Elle a besoin d’outils afin de pouvoir répondre convenablement aux attentes/besoins des individus

En psychologie, les outils sont multiples. Allant des tests objectifs précis à des grilles de lecture spécifiques, il y a nécessairement besoin de protocoles. Ces derniers ne sont pas développés dans le but de « conformiser » la personne, bien au contraire. Si l’on suit des « protocoles », c’est dans le but d’aider au mieux les patient-es grâce à des outils, et des démarches vérifiées. Il semble évident de souligner que si cet aspect n’est pas suffisamment intégré par le-a professionnel-le, le-a patient-e face à elle-lui peut avoir l’impression d’être « chosifiée », de faire partie d’un processus dans lequel iel n’a pas sa place. C’est un danger qu’il faut garder à l’esprit, car malheureusement cela peut arriver. Mais, ces outils n’en restent pas moins utiles. Ils peuvent nous permettre d’éviter des biais liés à notre perception subjective des choses, nous donner des informations pertinentes, aider à la démarche diagnostique, ou encore nous donner des pistes potentielles de soin. Par ailleurs, ces protocoles sont personnalisables et ne sont pas fait pour être utilisés de manière obligatoire ou automatique, surtout lorsque nous sommes psychologues. Nous avons connaissance des limites de nos outils et nous sommes formé-es pour les utiliser dans les meilleures conditions.
De même, notre métier est avant tout un dialogue, un échange entre le-a patient-e et notre regard clinique. Vouloir rejeter ces outils, c’est aussi rejeter tous les éléments qu’ils nous apportent. Et cela, au détriment du patient-e.

  • Elle cherche à se remettre en question et à apprendre

La pratique clinique se veut évolutive. En effet, la psychologie étant une science, ses outils sont amenés à évoluer avec le temps. Et ce, non seulement pour les patient-es, mais aussi par les patient-es, grâce à une articulation entre deux démarches :

  1. La première vient des ressentis et des difficultés des patient-es elleux-mêmes et des retours du psychologue; c’est la démarche qualitative. Elle permet non seulement de co-construire la future démarche de soin en accord avec le-a patient-e, mais aussi d’émettre des suggestions pour : construire de nouveaux outils, les mettre à jour et questionner leur pertinence, voire leur utilité (dans ce contexte précis).
    Prenons pour exemple le WISC V, un test d’intelligence. Non seulement cet outil n’est utilisable que pour des contextes précis, mais il peut être plus opportun de ne faire passer que certaines parties de ce test, car le-a patient-e est fatigable, par exemple.
  2. Quant à la deuxième démarche, dite quantitative, elle émerge de la recherche scientifique. Étayés par des statistiques, les psychologues-chercheur-ses tentent de développer de nouveaux outils pour le plus grand nombre en les validant et en les testant. Cela permet non seulement de vérifier certaines hypothèses décrites par la démarche qualitative, mais surtout, d’ouvrir la palette des outils possibles.
    Prenons encore une fois l’exemple des tests d’intelligence. Certains tests actuels peuvent ne pas être adaptés à certains publics, voire pourquoi pas, obsolètes sur certaines questions. Il faut donc essayer d’en développer davantage. Et ce, toujours pour aider et accompagner au mieux ses patients.

 

Article 1 (2)

3 réflexions sur “Psycho-sceptique #1 : La science, le consentement et le reste

  1. Ardes 16 février 2017 / 17 h 41 min

    Bon, après première lecture, je relève plusieurs points qui me dérangent dans l’approche de cet intervenant. Je suis fondamentalement d’accord avec tes remarques et j’ai quelques points que je voudrais aborder :

    – mettre en avant la démarche hypothético-déductive est quelque chose qui ne se fait pas assez. Il faudra que je pense à faire un point là-dessus sur mon site, je pense que c’est réellement important. Toute science humaine n’est pas une vue de l’esprit et une justification a posteriori d’idées émises n’importe comment. On se base sur des hypothèses que l’on confirme ou que l’on infirme en partant d’observations et de faits. On part donc toujours de quelque chose de tangibles et de réels et non pas d’une simple opinion comme certains le pensent très souvent. Nous avons donc une véritable démarche scientifique qui est présente. Visiblement, l’intervenant a oublié un peu cela quand il parle de la notion de consentement et c’est le second point que je voudrais aborder.

    – La notion de consentement. Là, pour le coup, ce n’est pas gentil mais j’ai ri à la fois dans l’expression d’un « pseudo-récentisme » de l’intervenant mais aussi par la définition qu’il en propose. J’aimerais assez savoir ce qu’il tente de démontrer avec l’utilisation du nazismes et des expériences. Est-ce qu’il ne prend le consentement que dans le cadre de l’observation scientifique d’un cobaye ? Même là, ce serait bien réducteur. La notion de consentement est apparue bien avant le nazisme. J’en veux pour preuve qu’un mot existe parce qu’il désigne une réalité et que le terme de consentement est à la base un terme latin antique (consentio, consentire). On pourra évoquer le consentement pour les premiers baptisés, pour les mariages antiques, etc. Donc un terme récent, absolument pas.
    Cependant, je crois qu’il veut en réalité parler de ce que l’on appelle le « consentement éclairé » (https://fr.wikipedia.org/wiki/Consentement_%C3%A9clair%C3%A9) et notamment du code de Nuremberg (https://fr.wikipedia.org/wiki/Code_de_Nuremberg) et c’est à ce moment où le « consentement » du patient devient une condition sine qua non pour le praticien quand il s’agit en face d’un humain. A ce titre, l’intervenant est tout à fait légitime dans son propos à cela près que le code de Nuremberg ne fait que reprendre des éléments déjà mis en avant qu début du XX° siècle.
    Cela n’excuse en revanche pas sa définition du consentement en psychologie qui révèle selon moi une approche paternaliste de son domaine.

    Voilà pour un rapide tour sur l’aspect historique. Je pense que ce qui t’a choqué, ce sont les amalgames et les raccourcis doublés d’une approches particulières.

    Cordialement,

    Ardes, du site Notions d’Histoire (https://notionsdhistoire.wordpress.com/)

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    • pensées psycho-septiques 22 mars 2017 / 18 h 35 min

      Je te remercie beaucoup pour ton commentaire construit et instructif. Je me doutais bien que le concept de consentement était beaucoup plus vieux mais j’ai préféré ne pas le signaler véritablement, par peur de me tromper (et j’ai bien fait).
      Sur le consentement éclairé, je ne savais pas que cela venait du code de Nuremberg, à la base. Je ne pensais pas que c’était « légalement » si récent. Cela explique en partie son point de vue alors, même si, comme je le souligne, cela me semble dangereux de faire ce genre de parallèle par rapport au monde d’aujourd’hui. Ce genre de positionnement n’explique pas comment la science et la société ont changé et comment le consentement est important actuellement.
      Concernant la démarche HD, je te rejoins tout à fait … Malheureusement, dans les sciences humaines, on a souvent un peu de latence voire des oppositions plus ou moins fortes contre ce genre de démarche. D’ailleurs, je ferai un article prochainement sur la démarche scientifique, pour faire un peu le point en psychologie.
      Cordialement,
      Angelus de Pensées psycho-sceptiques

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